Violaine De Filippis-Abate, avocate engagée pour les droits des femmes, porte-parole d'Osez le féminisme et chroniqueuse à L'Humanité, était invitée par Femmes Solidaires 71 vendredi soir à Mâcon, salle Pavillon, pour présenter au public son premier livre Classées sans suite paru en 2023 chez Payot.
L'avocate, qui était à l'époque au barreau de Bordeaux, est revenue sur la genèse de son livre :
« Ce livre est une sorte de synthèse de ce que j'ai constaté dans les permanences que je fais bénévolement depuis maintenant plusieurs années. Au fur et à mesure je me suis rendue compte qu'en réalité, il y avait énormément de plaintes qui ne passaient pas le stade de l'enquête préliminaire et que mes confrères ne voyaient pas dans leurs dossiers puisqu'elles étaient classées. Quand on dépose plainte aujourd'hui, il est très rare que la police rappelle que l'on a le droit d'être accompagnée par un.e avocat.e parce que c'est considéré comme inutile, comme si tout se passait bien aujourd'hui dans le système judiciaire. On sait que ce n'est pas le cas.
L'accueil des victimes aujourd'hui pour le dépôt de plainte peut largement être amélioré. Cela a tendance à s'améliorer mais il reste encore beaucoup à faire. Le suivi de l'enquête préliminaire n'est pas claire pour les justiciables et souvent les femmes rentrent chez elle et ne savent pas du tout ce qui va se passer. C'est important je crois de l'expliquer c'est pourquoi j'ai voulu écrire ce livre. Il reprend ce qu'est l'enquête préliminaire, à quoi elle sert, ce qui va se passer à l'intérieur.
Les statistiques rejoignent mes constats sur le terrain, plusieurs rapports disent la même chose . Le dernier en date, celui d'une chercheuse pour l'institut d'études des politiques publiques conclut que 94% des plaintes pour viol étaient classées sans suite essentiellement pour le motif suivant : infraction insuffisamment caractérisée, c'est à dire pour manque de preuves. Pour trouver des preuves, encore faut-il faire un minimum d'enquête.
Un autre rapport de 2019, s'était penché sur ce qu'étaient devenus les signalements et plaintes de femmes qui s'estimaient en danger et victimes de violences et qui en sont d'ailleurs mortes depuis. L'inspection générale de la justice dit que dans 80% des cas, la plainte a été classée sans suite. L'homme accusé n'est pas systématiquement auditionné, il n' y a quasiment pas d'enquête d'environnement, et je rajouterai qu'il y a encore très peu de saisie de téléphone et d'investigation sur les téléphones portables. Il est important de militer pour revendiquer un droit à l'enquête, l'inscrire dans un décret mais cela nécessite aussi un budget. Aujourd'hui si on ne met pas assez d'argent sur les enquêtes, on ne peut pas trouver ces preuves. Il faudrait commencer par investiguer systématiquement dans tous les dossiers. »
Le livre de 200 pages se décline en trois parties. La première partie, le parcours de la combattante, explique les étapes du dépôt de plainte jusqu'au classement. La deuxième partie, les raisons systémiques de l'inégalité judiciaire, montre comment on en est arrivé là aujourd'hui, pourquoi la machine judiciaire ne fonctionne pas, comment elle a été créée, sur quelles bases elle se fonde. Pour analyser ses blocages, Violaine remonte en 1800 avec le code Napoléon. Elle l'explique par l'héritage historique d'une justice patriarcale et d'un sexisme fermement ancré dans notre culture. Dans la troisième partie, changer le système, l'avocate engagée évoque des pistes d'amélioration à mettre en œuvre rapidement pour lutter contre la maltraitance psychologique et judiciaire des femmes en France comme créer des juridictions spécialisées, éduquer à la vie sentimentale et sexuelle dans les écoles.
Et Violaine De Filippis de conclure sur ces mots : « Aujourd'hui, je crois que nous sommes à une période importante qui peut être un virage dans le bon sens ou dans l'autre. La libération de la parole peut aboutir sur 2 choses : soit on avance vers un système judiciaire qui fonctionne mieux et une meilleure école pour créer un système égalitaire de demain, soit on va avoir un mouvement réactionnaire qui va prendre encore plus d'ampleur qu'aujourd'hui et on va reculer un peu, c'est ce qu'on appelle le backlash suivi d'une régression plus ou moins moyenne. »
Maryse Amélineau
Photos © Maryse Amélineau