Aurélien Bailly-Salins, président du tribunal de grande instance de Mâcon, a oeuvré ce matin pour le retour l'audience solennelle de rentrée. Son discours intégral, dans lequel il évoque entre autres la matière civile, le fonctionnement au quotidien de la justice, le divorce, la cité judiciaire, une nouvelle maison de justice et du droit
« Le code de l'organisation judiciaire nous impose chaque année de rendre compte de l'activité de nos juridictions. Garant de la liberté individuelle, autorité pacificatrice et service public agissant « au nom de peuple francais », nous nous devons de restituer publiquement la réalité de notre activité, en vous proposant de comprendre ce qui fonctionne, et peut-être, parfois mezzo vocce, ce qui fonctionne moins.
Moment important également parce que la justice n'est pas hors-sol, et que nous travaillons, nous tous, avec vous, et souvent grâce à vous. Nous savons que ces deux années sans audience de rentrée solennelle ont été pour vous une désespérance. Nous sommes heureux de vous accueillir.
En deux ans, certains visages ont changé. Monsieur le Préfet, le tribunal judiciaire de MACON vous souhaite à nouveau mais officiellement cette fois la bienvenue en Saône et Loire. Votre présence aujourd'hui, comme votre visite ici-même dès la semaine de votre arrivée et la disponibilité de votre directrice de cabinet à notre endroit sont le signe de l'importance que vous accordez à vos voisins du tribunal. Soyez en remercié Monsieur le préfet, vous et vos services.
Nous nous réjouissons également de voir certains élus présents. Madame la Sénatrice, Monsieur le maire de MACON, nous connaissons votre attachement fort et constant à l’institution judiciaire et plus spécifiquement à la juridiction mâconnaise. Madame la Première Présidente, Monsieur le Procureur Général, merci de votre présence aujourd'hui, importante pour nous tous, magistrats, greffiers, fonctionnaires et avocats. Vous avez Madame la première Présidente, Monsieur le Procureur général, combattu toute superstition en fixant votre audience solennelle un vendredi 13. Nous avons creuser le sillon de cette inoxydable foi en notre bonne étoile, en fixant la notre un jour de grève générale. Elle n'était évidemment pas arrêtée lorsque cette date a été choisie.
La juridiction a, en plus de deux ans, également changé de visage. Des magistrats sont partis, des magistrates sont arrivées. Sur les 16 magistrats de la juridiction, siège et parquet confondus, 13 sont aujourd'hui des femmes. Si nous sommes à l'évidence, Monsieur le Procureur, Monsieur Pierre-Francois LONG et moi-même, une espèce en voie de disparition à MACON, nous vivons je crois cette évolution statistique avec un bonheur non dissimulé.
Monsieur le bâtonnier RIVIER, vous avez pris vos fonctions il y a maintenant un an, vous succédez à Madame le bâtonnier CHARRET, avec laquelle nous avons été particulièrement heureux de travailler. Merci de vos présences respectives et de celles de vos confrères.
La vocation première de cette audience solennelle de rentrée est de vous présenter les éléments saillants de notre activité judiciaire. La matière civile représente la part la moins visible mais volumétriquement la plus importante de cette activité. Après une année 2020 fortement marquée par la crise sanitaire et la grève des avocats, l'année 2021 fut une année de reprise, parfois contrariée.
Les chiffres de l'année 2022 permettent de relever que pour l'essentiel l'activité a été d'une intensité comparable à celle de 2019. Signe de cette reprise définitivement confirmée en 2022, et à titre d'exemple, le nombre de référés, contentieux de l'urgence, de l'évidence ou de la preuve civile, est en hausse, tout comme le nombre d'affaires civiles à l'ex tribunal d'instance, qui connaît en 2022 une hausse significative de plus de 23%. Ce service a pu, grâce à l'engagement de ses fonctionnaires et des magistrats, et malgré l'absence de certains pour des raisons heureuses ou malheureuses, maîtriser globalement les stocks et les délais de traitement, qui restent particulièrement bons.
Le pôle social, qui fait l'objet d'un contrat d'objectif dans le cadre de la justice de proximité, voit depuis deux années son stock diminuer, élément essentiel pour pouvoir traiter dans des délais satisfaisants les difficultés de prise en charge par la solidarité nationale de justiciables particulièrement fragilisées et dans l'attente forte d'une réponse judiciaire. Néanmoins, si le contentieux général civil est stable, l'activité de la chambre de la famille a été fin 2020 et en 2021 un point de vigilance important, le nombre d'assignations en divorce ayant chuté très significativement sur cette période.
Ainsi, si la chambre de la famille a enregistré 234 nouveaux dossiers de divorce en 2019, elle n'en a connu que 77 en 2021, pour remonter, à 169 en 2022. Comment expliquer ce désamour passager pour le divorce ? La mise en place d'une nouvelle réforme de procédure en la matière, au 1er janvier 2021, le recours plus fréquent à la procédure de consentement mutuel devant notaire ainsi que le contexte sanitaire anxiogène poussant sans doute certains à différer ou à interroger des choix personnels radicaux expliquent peut-être cette baisse.
Le service s'est adapté, en autonomie, à cette nouvelle donne. Aujourd'hui, un couple qui entend divorcer à MACON peut prétendre aux prononcés des mesures provisoires dans les 4 ou 5 mois suivant le dépôt de son assignation. Il faut aujourd'hui moins de temps à MACON pour voir sa séparation encadrée judiciairement que pour préparer et célébrer son mariage.
Monsieur le Procureur a pu, pour l'essentiel, vous présenter les chiffres en matière pénale. Juste quelques brefs commentaires : Notre juge d'instruction traite depuis le 1er janvier 2022 des dossiers criminels simples pour les infractions punies de 20 ans et moins de réclusion criminelle. À ce titre, et ce chiffre dépasse toute nos projections, 16 dossiers criminels ont été ouverts en 2022, sur les 33 dossiers ouverts en tout dans son cabinet. C'est la marque, madame la juge d'instruction, de la confiance que vous accorde le parquet, et nous ne pouvons que nous satisfaire que certains dossiers gravissimes, pour l'essentiel de nature sexuelle, soient instruits en proximité.
Par ailleurs, si la mise en place de PILOT audiencement n'a pas été toujours sans conséquence sur le contenu des audiences correctionnelles, les délais d'audiencement sont stables à MACON, 6 mois courant entre la date de convocation délivrée par les forces de l'ordre et la comparution des prévenus devant le tribunal correctionnel. La juridiction maconnaise, agile, dotée de personnels compétents et engagés a bénéficié d'atouts évidents pour pouvoir, après deux années particulièrement troublées, garantir à nos concitoyens un service public de la justice digne, efficace, suffisamment rapide pour trancher les différends sans anachronisme, et suffisamment lent pour permettre la sereine réflexion de celui qui agit en justice, et parfois de celui qui la rend.
Drôle de constat dans un contexte général de présentation d'une justice « délabrée », exsangue, sous dotée, en perte de sens, en perte évidente de confiance en soi et de confiance en elle. Les états généraux de la justice et le rapport Sauvé, violemment téléscopés par « la motion des 3000 » en novembre 2021, ont permis d'étayer cette indiscutable situation de fait et relever qu'à trop vouloir dégraisser le mamouth, il en est devenu famélique.
Si le tribunal judiciaire de MACON peut aujourd'hui présenter des chiffres satisfaisants, il le doit sans doute au soutien permanent de la Cour d'appel de DIJON, qui dans la limite de ses propres moyens, a acté la bonne santé mais également la fragilité de cette juridiction de taille modeste qui vit chaque vacance de poste avec difficulté. C'est le cas par exemple aujourd'hui au service des enfants, ou l'absence d'un magistrat ne pourra être compensée pendant quelques mois que par la seule vitalité de Madame CLOCHER DOBREMETZ et des personnels de greffe qui travaillent à ses côtés. Il le doit surtout à l'évidente implication des magistrats et fonctionnaires, à leur sens du service public, qui confine, parfois, certains matins, tôt, ou certains soirs, tard, à un sens du sacrifice, et à la polyvalence des personnels, valeur euclidienne des organisations sous dotées.
Merci à tous et toutes, magistrats, directeurs de greffe et fonctionnaires, vous permettez à cette juridiction de répondre aux attentes des justiciables au delà de ce que nos moyens permettent et d'en rendre compte la tête haute. Beaucoup de magistrats maconnais, comme ailleurs, ont des attributions en robe d'arlequin, rédigeant le matin des divorces, tenant des audiences de collégiales correctionnelles l'après-midi, et récupérant le soir des dossiers d'adoption pour le lendemain.
Dans l'attente du retour officiel de la DSJ des importants travaux menés sur les charges de travail, la conférence des présidents a dressé, en 2021, un tableau de calcul pragmatique des charges des magistrats, poste par poste, fonction par fonction, tâche par tâche.
Aujourd'hui, selon ces calculs, et sans procéder à des comparaisons sans doute trop théoriques avec d'autres systèmes judiciaires européens, la juridiction mâconnaise devrait accueillir 15,5 magistrats du siège, pour 12 localisés, soit un déficit théorique en magistrat de près de 30%.
La situation des équipes de greffe et de fonctionnaires est aujourd'hui sensiblement la même. Sur les 50 postes localisés, 7 postes souffrent d'absence ou de vacance, élément partiellement compensée numériquement par l'aide salutaire que nous apporte une fois de plus la Cour d'appel et par les contractuels ou vacataires engagées. Cette situation impose à la direction de greffe l'art de la musique à trois temps, valse permanente et chronophage des agents, d'un service à un autre.
Je loue, Madame la Directrice de Greffe, votre sens du rythme. La mesure phare annoncée par Monsieur le Garde Des Sceaux dans le cadre des états généraux de la justice est la création de 10.000 emplois, dont 1.500 magistrats et 1.500 greffiers sur 5 ans. Cet effort budgétaire et humain, historique pour la justice si elle se confirme dans les faits et dans le temps, rejoint à l'évidence les souhaits et les constats raisonnés présentés par les magistrats de terrain et les organisations syndicales. Cette satisfaction, aujourd'hui encore limitée à celle d'avoir été au moins entendue, doit se doubler d'un nécessaire sentiment de responsabilité.
L'arrivée programmée, et espérons le réelle, de renfort doit être à l'évidence l'occasion d'interroger nos organisations, de préciser les contours d'une vraie équipe autour du magistrats et de mettre à plat certains écueils, créés par notre quotidienne adaptation à la pénurie, mais qui ne seront plus admissibles. A titre d'exemple, l'organisation des services des greffes a été rendue particulièrement illisible par la nécessité de pourvoir au plus pressé, et les greffiers, fonctionnaires, adjoints et secrétaires administratifs devront être repositionnés sur des fonctions en lien avec leurs statuts respectifs et leurs rémunérations, au risque d'une perte totale de sens des missions qui sont les leurs et des serments qu'ils prêtent.
De même, le recours aujourd'hui fort à des agents vacataires ou contractuels imposent une véritable réflexion sur les postes et les attributions qui doivent leur être confiés, en intégrant dans nos organisations à venir, à défaut de pourvoir contrarier ce mouvement, l'évidente contractualisation de la fonction publique en marche.
Nous espérons que la justice sortira, par cet engagement continu de l'Etat, du dénuement qu'elle a toujours connu et qui vous a été décrit, audiences solennelles après audiences solennelles. Nous espérons que rapidement, nous n'aurons plus jamais cette excuse des moyens pour justifier pro domo les reproches parfois légitimes qui nous sont faits. Les états généraux de la justice entendent également, pour soulager nos charges et nos services, dynamiser la voie de de la résolution amiable des conflits. Nous allons devoir nous rencontrer sur ce point Monsieur le Bâtonnier, pour aplanir certaines réticences, et s'interroger ensemble sur la pertinence d'un recours généralisé à ce préalable dans une juridiction ou saisir le juge est facile, et obtenir une décision rapidement est garantie.
Enfin, le garde des sceaux a évoqué, dans le cadre de ces mêmes annonces, le souhait de voir notre justice devenir véritablement numérique, avec une disparition, a moyen terme, du papier dans nos juridictions. Cette annonce, marque d'un évident et nécessaire volontarisme en la matière, interroge néanmoins quant au décalage existant avec les réalités que connaissent nos services sur ce point et l'ambition des annonces faites.
Pline, plex, Emma, Cassiopée, Appi, Chorus, Chorus DT, Genesis, casier judiciaire, Harmonie, pharos, modalin, minose, osmose, roméo, winci, noé, Dites moi la question que vous vous posez, je vous dirai quel applicatif utilisé. Déployés en tuyaux d'orgue, en sillot, particulièrement dysfonctionnant pour certains, non intuitifs pour ne pas dire obsolètes pour d'autres, cette myriade d'applicatifs très rarement compatibles entre eux est, au terme de l'important travail que nous avons effectué en interne sur les conditions de travail, l'un des premiers éléments évoqués par l'ensemble des agents comme étant source de tension et de mal-être au travail. Cet état de fait est inadmissible. Une évolution rapide s'impose.
Cette année 2023 commence à l'évidence de façon enthousiasmante. Pas un enthousiasme béat, un enthousiasme vigilant sans doute, mais un enthousiasme tout de même. Si l'activité a repris fortement, si chacun est à sa tâche, nous allons devoir être acteur de cette évolution positive promise que nous espérons connaître et soutenir, dans l'intérêt des justiciables et de chacun des magistrats et fonctionnaires de cette juridiction.
Trois projets locaux renforcent ce sentiment positif de début d'année. Le projet de Cité judiciaire, évidemment, d'abord. En arrivant, lorsque j'évoquais cette cité judiciaire avec certains, je lisais dans leur regard un amusement, un doute, une circonspection, une incrédulité, le regard de St Thomas. Construite sur l'ancien convent des Jacobins, notre Cité judiciaire ne sera pas un temple de Salomon, dont tout le monde parle et que personne n’a vu. Mais aujourd'hui, réjouissez-vous, car je vous apporte une bonne nouvelle. Et ce n'est pas un miracle, mais la conséquence de l'engagement initial fort et permanent de certains élus, et je pense à vous, Monsieur le député DIRX et Monsieur le maire COURTOIS, et cette nécessité a été finalement acté par la Chancellerie. Nous sommes rentrés aujourd'hui dans une phase concrète de réalisation de notre Cité. Le concours architectural a eu lieu et un projet a été choisi, un rétroplanning des travaux a été arrêté (les choses vont s’accélérer) et les plans détaillés sont en cours de discussion.
Cette cité, qui nous rapprochera géographiquement encore un peu plus de vous, Monsieur le préfet, porte déjà en elle les germes d'une justice qui est capable de s'affirmer et de se sublimer : le projet retenu est celui du cabinet d'architectes qui a magnifiquement dessiné la salle d'assises dîtes V13, où notre démocratie a répondu dans la plus stricte application du seul droit, entre septembre 2021 et juin 2022, à la barbarie la plus insupportable.
Nous vous proposerons dans quelques semaines un temps dédié de rencontre, visuels à l'appui, pour vous présenter les plans de cette cité judiciaire qui enracinera définitivement la justice au sens large dans le centre historique de MACON.
Second Projet local, une nouvelle Maison de justice et du droit. Nous nous sommes rencontrés avec le Procureur, Monsieur le Maire de MACON, et nous avons acté ensemble que l'actuelle maison de justice et du droit située parc de l'abîme ne permettait pas toujours d'accueillir l'ensemble des intervenants dans des conditions satisfaisantes. Votre proposition de recentrer la MJD sans doute en cours d'année 2025 dans de nouveaux locaux plus adaptés dans le quartier des GAUTRIATS est particulièrement séduisante et marque à nouveau l'intérêt que vous manifestez pour la justice maconnaise.
Enfin, l'année 2023 est une année à l'évidence importante pour le Conseil départementale de l'accès au droit. Nos deux agents d'accès au droit, qui se partagent le département, ont vu leur activité augmenter encore cette année de près de 10%, preuve du rayonnement d'un CDAD qui s'est progressivement professionnalisé. L'important travail de rapprochement avec les établissements FRANCE SERVICES, grâce à une action menée depuis deux ans en synergie avec la préfecture, est également le signe que la justice est en capacité de se considérer, lorsqu'il s'agit de faciliter l'accès à ses services, comme une administration comme les autres, soucieuse de faire le dernier kilomètre selon l'expression consacrée pour permettre à chacun de prendre connaissance de ses droits et de les exercer.
Néanmoins, l'augmentation des charges courantes, la nécessaire contractualisation au long cours des agents qui y travaillent interrogent actuellement l'équilibre financier du CDAD, et nous ne manquerons pas de sensibiliser nos différents partenaires, au département et dans les municipalités, ainsi que la chancellerie, sur cette situation qui peut devenir inquiétante si elle n'est pas rapidement prise en compte.
J'ai conscience que ce discours peut-être vécu comme relevant d'une fausse posture résolument positive. Mais nous avons passés chacun, chacune, de long mois, pendant cette crise sanitaire, à s'ausculter, à surveiller ses constantes, à frémir à chaque toux, à s'automédicaliser, je crois qu'il est temps de faire sienne cette injonction performative, un peu naïve sans doute, que s'est imposée Voltaire : « j'ai décidé d'être heureux parce que c'est bon pour la santé. »
Mesdames et messieurs, le tribunal judiciaire de MACON vous souhaitent évidemment l'un et l'autre pour cette année 2023. L’audience solennelle de rentrée est levée.
A. BAILLY-SALINS
Côté pénal (évoqué par le procureur Eric Jallet) :
- une hausse de 30% des comparutions immédiates, et de 24% des defferements au parquet , augmentation de la réponse pénale rapide liée évidemment à la vigilance accrue sur les violences intra-familiales ;
- une hausse légère des convocations par OPJ (officier de police judiciaire), mode habituel de saisine du tribunal correctionnel ;
dans le même temps,
- hausse de 50 % des ordonnances pénales, stabilité des CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité) homologuées,
- stabilité des ouvertures d'information, avec la moitié des ouvertures d'information au criminel, « démontrant la nécessité d'une instruction de proximité, avec un ciblage des dossiers de trafic de stupéfiants, de proxénétisme, de vols sériels »
Photos : Aurélien Bailly-Salins et le procureur Eric Jallet (photos d'archive)