À quelques semaines de son retour en terres mâconnaises pour jouer son nouveau seul-en-scène à la salle des fêtes de la Roche-Vineuse le 15 novembre, Karim Duval a accepté avec gentillesse de répondre à nos questions.

 

Lyonnais de cœur, l'humoriste Karim Duval crée son premier spectacle « D'un commun accord » et le présente dans toute la France. Sa tournée commence en 2010 et dure une année. Son talent est reconnu et il reçoit plusieurs prix. En 2012, il décroche le prix Cave de Lugny au concours Jeunes Talents des Vendanges de l'Humour à Mâcon.

 

Karim qu'est-ce qui vous a poussé à quitter votre métier d'ingénieur pour la scène ?

K D : Le plaisir d’être sur scène, de faire rire, et d’avoir un retour instantané sur ce que je propose, contrairement à mon job de bureau où on pouvait mettre des jours à répondre à mes mails. Et puis chaque représentation menant à cinq nouvelles représentations, au bout d’un moment, cela n’était plus tenable : les agendas ne collaient plus. Alors, par honnêteté envers mon employeur de l’époque, je me suis dit «certes, tu ne mets plus beaucoup de coeur dans ce que tu fais au bureau, au moins ne sèche pas les heures de travail ! » Et la seule façon de ne pas sécher le travail, c’était de le quitter !

J'aimerais également souligner une chose, parce qu'il s'agit ici des Vendanges de l'Humour : ce qui m'a poussé à me lancer dans l'humour à 100%, c'est une brin de confiance acquis, entre autres, en participant à des festivals d'humour. Mâcon en faisait partie : j'ai fait le tremplin, j'ai été invité à y jouer mon spectacle en entier ensuite, et je n'oublierai jamais cette main tendue par Fabien Ruggieri et son équipe. Faire les festivals d'humour, c'est entrer dans une famille, ça vous rassure et vous donne de la force... Vous n'imaginez même pas à quel point ! 

 

Qu'est-ce qui vous anime chaque matin ? 

Le fait qu’aucune des journées à venir n’est gagnée : est-ce que je parviendrai à toucher le public dans une semaine, dans six mois, dans deux, cinq, dix ans ? en racontant des choses drôles, émouvantes, et surtout qui reflètent l’époque. Même si j’ai des dates pour les 9 mois à venir, il y a toujours cette incertitude qui plane : parviendrai-je à comprendre les gens, l’air du temps (du moins certaines thématiques), est-ce que j’arriverai à la capter, et à le retranscrire sous forme de sketchs, de vidéos, d’histoires…? Au fond, même si ce n’est pas ça que je me dis tous les matins, c’est une espèce de tension de fond, une histoire de survie permanente.

(Et bien sûr je pourrais vous répondre : « le sourire de mes enfants », gna gna gna - et le pire, c'est que c’est vrai, gna gna gna) 

 

Y a -t-il une évolution entre votre 1er spectacle en 2010 et maintenant ?

J’espère bien ! On ne fait pas ce métier pour régresser !

À vrai dire, je ne sais pas si ce que je fais est mieux (c'est une question de goût, c'est le public qui décide), mais ce qui est sûr c’est que le monde a évolué, j’ai acquis de l’expérience (en tant qu’humoriste et surtout en tant que personne), de l’exigence, et le métier a changé : des centaines d’humoristes ont fait irruption depuis, la plupart du temps via les réseaux sociaux, créant une émulation dans le métier qui fait que les gens ont l’habitude de voir, de (je n’aime pas le terme) «consommer» de l’humour, et par conséquent sont à leur tour plus exigeants. Les blagues, ils les voient arriver à des kilomètres, donc il faut redoubler d’effort pour surprendre le public. Et tout cela, je l’espère, a contribué à me rendre, à nous (les humoristes) rendre meilleurs.

 

Que « dénoncez-vous » de la société en général ?

Au fond, rien : je ne dénonce rien. Après, dans mon spectacle Entropie transparaissent aisément mes craintes, mes colères, notamment envers cette fâcheuse tendance à vouloir innover pour innover, innover «parce que c’est bien », parce qu’on appelle «progrès » le fait de remplacer l’innovation de la décennie passée par une nouvelle innovation… Cette accélération me fatigue, m’exaspère, me désespère. Le fait que je prenne de l’âge (bon, j’ai 44 ans, ça va, hein) n’arrange rien à ça. Et le fait de me voir m’énerver et m’agiter contre tout ça (concrètement : l’IA, l’admiration aveugle pour la technologie et une forme de réussite) me rend ridicule, presque « vieux con », mais sincère, donc drôle. Alors je suis content. Voilà : je ne dénonce pas, je transmets ma joie.

 

Dans votre dernière création Entropie, quel(s) message(s) adressez-vous au public ?

Comme je viens de le dire : je ne cherche pas vraiment à délivrer des messages. J’exprime juste ma colère, mon impuissance face aux mutations (technologiques, notamment) qui nous sont imposées parfois.

Ou alors, si : un message à contre-courant de la folie innovatrice et pro-tech ambiante, un message qui consiste à dire (même si je n’incite pas les gens à l’inaction totale - bien au contraire) à un grand nombre de personnes sur cette Terre que je trouve trop actives, et à des fins néfastes malgré le modèle de réussite qu’elles incarnent : « Arrêtez de faire. Ne faites rien. Parce que si vous ne faisiez rien du tout, le monde se porterait beaucoup mieux ».

 

Votre formation de centralien influence-t-elle l'écriture de vos spectacles ?

Certainement. On est fait de ce qu’on a vécu, de nos expériences passées. Et oui, une formation scientifique et des années passées dans l’ingénierie, ça structure une pensée, ça vous donne une façon de parler... des lourdeurs, aussi ! Il reste certainement quelque chose de tout ça, mais j’espère y amener un brin de folie et le poids des 14 ans de vie d'humoriste qui ont suivi, aussi !

 

Comment avez-vous imaginé ce dernier seul-en-scène ?

Un spectacle, c’est une somme de petites idées notées des années en arrière parfois, ou juste en marchant dans la rue ou en marge d’une discussion, d’une rencontre, ou en lisant des romans, des essais, des articles, en écoutant des podcasts… Une somme de petites idées avec la «grande idée» ou du moins l’état d’esprit qui vous habite au moment où vous vous dites : «allez, j’écris un nouveau spectacle pour de bon». Et quand de petites idées croisent une grande idée, elles peuvent n’avoir rien à voir entre elles : ça donne le côté foutraque, improbable et toute la fantaisie du spectacle futur… Et en même temps, elles ont un dénominateur commun : la «grande idée» qui vous habite ; et ça donne le liant entre les sketchs, une identité au spectacle. C’est comme ça que j’ai écrit «Entropie» : j’avais plein d’idées sur l’IA, mes névroses sur les réseaux, l’idée de me transformer en pop-corn en cas de très grosse chaleur, une fascination pour les personnes âgées qui mangent des huîtres et pour les gens qui testent des nouveaux sports de glisse… et tout ceci s’est retrouvé autour d’une grande idée : le désordre croissant dans nos vies hyper-actives et hyper-connectées… En un mot : l’entropie.

 

Quels sont vos projets ?

Bien profiter des dernières dates d’Entropie, dont je jouerai la dernière à l’Olympia le 7 juin 2026. Tout en écrivant de nouvelles choses, jetables, ou bourgeons pour un futur spectacle qui sortira… quand il sortira ! D’ici-là, j’espère me nourrir de nouvelles expériences et idées, écrire (peut-être) autre chose que des one man show… et surtout, réussir à ne rien faire ! Un peu.

 


Propos recueillis par Maryse Amélineau

 

Photo © Caroline Bazin